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Daniel Airam,

écrits

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deux fusains - 2017

110 x 75 cm

 HISTOIRE D'UNE CHAISE, 2017

Que l'on se le dise, loin de sa dictée utilitaire, une chaise peut devenir intention esthétique,  repère dans l’espace et opération d'une vie psychique. Sortilège du sujet me direz-vous,  surtout lorsque celui-ci ne nous laisse que vestiges inertes et mystères insondables.
  A concevoir sa disparition,  le sujet a cette nécessité de ne plus être après avoir été. D'ailleurs, qui mieux qu'une simple chaise pour ainsi démontrer que rien ne dure et que tout mystère  est plus intense que la chose même. Pourtant que l'on s' émerveille de celle-ci enfouie dans un plein d ombre  et de murmures, suffit à percer davantage le secret d'une attente. L'inquiétude  cependant pointe, un même abandon épuisé  qui réside  dans quelque chose d’insaisissable dont l'assurance  est cimentée de tant d'interrogations.
  Et puis, au-delà de cette chaise, le regard glisse dans un monde immatériel,  plus subtil, plus fuyant que la vie même. Une vie intérieure d où émane le prodigieux équilibre des apparences. A la rigueur et à la logique constructive, l'artiste préfère une sensibilité  pour ses transports les plus élevés. Même les attaches avec le monde terrestre rompent pour glisser dans l’indéfini. Mais ce qui échappe le plus à la fixité,  à l'unité,  c'est le regard, complexe et fugace que l artiste pointe avec force sur un point déterminé -la chaise- afin, sans doute de détourner le spectateur d'une chronique sans saveur. De reflets humides en éclats lumineux, de masses obscures en silence pesant, l'œuvre se déploie pour ne plus fixer que l'écho d'un monde inconnu. Et puis, par delà les couches épaisses d'un silence séculaire,  s'allume un feu sourd et profond. Là, on devine un geste essentiel, celui d'une  main qui s'enfonce  dans les profondeurs des noirs, tel un noyé qui disparaît. Brusquement, une vie entière se lit dans le jeu insaisissable des atomes et finit par dissoudre toute fonction sociale du sujet. Déceler ce point exacte où se conjuguent l'immatériel et le visible relève de la durée, cette apparence inerte et pourtant née du mouvement de la vie dont l'œuvre garde l'empreinte. Pour cela, qui n'a pas observé  combien chaque œuvre possède son coefficient de rapidité, élément significatif de son caractère et de sa capacité de suggestion, ne peut comprendre combien un dessin n est que de sillage inscrit par la main tel un sismographe saisissant sur le vif les modulations d'une vie en action.
Mais bien vite, s'annonce un arrière plan,  ce que Hugo nommait « bouche d'ombre" , cet ineffable qui ne peut affleurer qu à  la fleur de l'obscurité. Par sa présence,  une réalité sensible se manifeste afin de faire vibrer les harmonies d'un chant intérieur. Dans le magma des perceptions brutes, l'artiste prend possession de son sujet pour l'envelopper comme une proie dans les filets de ses sensations.
Ainsi, la chaise n'est plus un simple sujet,  clair et repérable, mais un univers de nuances, d'ombres, de courbes qu'une énième courbe inversée vient moduler dans un rapport de diverses parties du tracé. Il serait vain de ramener l'attention à l'usage exclusif d’un langage pictural sans parler de ce feu qui illumine et consume. Plus encore, ce que l’œil enregistre et ce que la main s'approprie. Entre définir et évoquer, l'artiste s'avoue vaincu, mais, comme tous les vaincus qui livrent leur face matérielle,  leur âme est ailleurs, jetée dans un ordre insaisissable, plus intense qu'un émouvant  mystère ou qu'une irritante énigme.
Vouloir comprendre le choix d'un sujet, à fortiori une chaise libérée des angoisses de sa condition. Surtout quand celle-ci  glisse impassiblement dans un espace où la lumière invente des harmonies inconnues et, comme indifférente, avoue une égale absence de pathos. Car ici, points d'élans mystiques ni de détours douloureux,  la facture se libère, le dynamisme s'accroît pour emporter l artiste vers une vision intérieure  que le vent léger  sur un vieux rideau fait frissonner.
Une chaise donc, tel un élément stylistique qui entre dans le monde des nécessités intérieures. Une chaise, docile aux injonctions profondes, un symbole majeur d'une affirmation toujours plus exigeante. Il faudrait plus de place pour constater que l'intelligence est adaptée au découpage de l'espace et au sens de la notion du temps qui passe. L'œil observe cette chaise. Plus que de distinguer un élément choisi parmi tout ce qui entoure le quotidien de l'artiste,  une évidence s'annonce : la chaise occupe dans l'espace fermement circonscrit sa mesure permanente. Elle éprouve aussi la nécessité de déterminer le champ de l'œuvre comme le ferait une borne de son cadastre. Ainsi, l'espace triomphe, le temps semble exilé à jamais. Au cœur de ce temps suspendu, le dessin devient enregistrement d'intensité pure, libérée de tout contrôle,  et si le hasard engendre une cohue de taches, de masses lumineuses, d'impulsions foudroyantes, l'élan primordial de la vie est réduit à son énergie essentielle. Ainsi chaque œuvre est révélée par des accidents de lumière ou suggéré par des voiles d'ombre donnant à l ensemble un caractère fort, jaillissant, dynamique. Peut-être est-ce par besoin de structure que l'artiste  a évité de donner à ses dessins un caractère panoramique. D’ailleurs, les choses paraissent être  vues d'un point élevé,  le sol semble monter, chaque plan se structure en masses rapprochées qui offre au regardeur une proximité certaine avec le motif. Si les  maîtres anciens peignaient des Madones, il est faux de dire qu'une chaise relève d'un manque d'imagination ou d'intérêt spirituel. Peint ou dessiné, un objet inanimé peut atteindre une tragédie cosmique au-delà de toute religion constitué. Est-ce suffisant ? Bizarre question pour quiconque se rappelle ce que Cézanne disait : «  si je peins, ce n'est pas pour ce fini qu'admirent ces imbéciles, mais pour atteindre le plaisir de peindre avec plus de vérité et de sagesse. » et si dans le réel  le sublime d'une chaise est ridicule, il en va autrement dans une existence picturale. De là l' incomparable beauté d'une chaise dessinée par Marie Marie-France Chevalier.


Daniel Airam avril 2017

 

à-propos de l'exposition :
La peau des murs, Le Lutrin
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la peau des murs

2017 - catalogue

format : 21 x 29,7 cm

34 pages

sur demande 

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