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Serge Gaubert,

écrits

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Atelier-04.jpg

Atelier I - huile sur toile, lin

- 100 x 100 cm

L'EPREUVE DE LA LUMIERE



Elle vient d’en face, de face, elle entre dans cet espace clos, familier, elle inonde, elle traverse. On s'attendrait à ce qu'elle caresse les choses, qu'elle les dessine, les entoure, les définisse, les consolide, les enlève sur leur ombre, les détache, ici, elle les traverse, les irradie, les éblouit à des degrés divers,  selon l'angle,  la distance et leur consistance. La merveille de cette peinture tient à la qualité,  à la justesse, à la finesse des modulations, des nuances saisies dans ce rapport de la lumière à la matière. Les choses interposées, toiles d’ araignées, voiles, tissus, cadres de fenêtres, meubles, madriers, et ce fauteuil si présent- composent la gamme des riches tonalités d'une savante musique pour l'œil .
  A chaque objet sa façon de jouer ou, pour mieux dire, de résister. Chacun, à sa mesure, à sa température,  selon sa compacité, devenu diversement translucide, retient le flux qui l'atteint, s'en pénètre  au point qu'il semble que ce soit lui qui l’émet. Alors que tout est vu à contre jour, point d'ombre portée qui dirait l'obstacle,  l'écran, opposé à l'éclairage. Dans les grandes huiles, le premier plan propose un ensemble devenu abstrait de notations colorées, vives, variées,  comme si par un effet paradoxal la lumière, venue de l'arrière, avait pénétré les matériaux,  les avait entièrement conquis pour jouer avec eux et les soumettre à ses harmoniques. Ailleurs , c'est  le flamboie-ment de ces humbles objets, ce tas en pyramide somptueuse, en bûcher sacrificiel, de simples cagettes au rebut.
  Oui, résistance au double sens du terme, comme effet électrique,  et comme opposition, retard avant dénouement,  avant défaite.  Ces éléments d'une réalité proche, ces intérieurs  qui de la grange à la chambre sont voués à  une existence humble, retirée , accèdent, investis par la chaude coulée du jour,  à la dignité de foyers où se réalise l'alliance du poids des choses obscures et du rayonnement impondérable et souverain qui vient les habiter. Les mettre en lumière  et en péril. Cette ouverture au fond de la grange libère un jour qui trouve résistance inégale : légère, aérienne,  dans les toiles d' araignée, compacte, lourde dans les madriers appuyés sur la cloison de gauche. La lumière qui enflamme les brins échoue à animer, à enflammer ces bois en écran ; elle les condamne à une indistinction quasi abstraite et envahit le bas de l'œuvre, le devant de la scène, dans ce vide d'achèvement,  d’exténuation vibrante, ardente, où elle triomphe. Ce blanc laissé est la part de la lumière.
  Tout va ici comme si la source de toute image, la condition de voir, de l'apparaitre, était aussi expérience  d'épuisement mortel. Comme si les écrans que la réalité oppose à la lumière pour en jouer, en jouir, la distraire, la domestiquer, n'étaient que provisoirement,  faiblement, à sa mesure, qu'ils ne brillaient ou ne multipliaient les douces variations du clair volé à l'obscur que dans l'approche d'un deuil éblouissant, d'un évanouissement fasciné. La nature morte propose en plans superposés,  rapprochés, des fruits encore résistants mais touchés, aux couleurs amorties, blessés, blets, et en surplomb un bouquet de tiges défaites, retombées : un peu plus loin de la source, un peu plus près de nous, ces mêmes fruits ne sont plus qu'une forme vidée, blanchie, accompagnés en analogie évidente d'une tête de mort, comme eux seulement esquissée.
  Portraits d'un homme, deux portraits à distance différente,  marquant un éloignement. Le sujet est éclairé  sans qu'on perçoive une source extérieure, il est là dans la lumière  qu'il  a retenue sa vie durant, qu'il retient encore, mais il s'éloigne dans ce tunnel, cette cave, d'ombre qui l'entoure, le cerne. Il est encore là, assis, il n'est plus  tout à fait là. Sa part de vie qui l'éclaire, par quoi il éclaire,  résiste encore à la nuit, mais jusqu'à  quand ?
Marie France Chevalier nous offre des œuvres qui, au-delà de la séduction qu'on éprouve devant tant de maîtrise,  tant de subtilité formelle et de sensibilité, portent à méditer  sur ce qui fait le sujet  secret et profond de la plupart des créateurs, ce lien paradoxal entre apparition, lumière, et disparition. On voudrait pouvoir vivre dans la compagnie de ces toiles. Elles n en finiraient pas de nous parler.

      
Serge Gaubert

exposition : intimités, Le Lutrin - 2008

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Mon père - fusain, papier marouflé sur toile

- 110 x 75 cm

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