DESSINS
Marie-France
Chevalier
ECRITS
-
Christine Célarier
nu, fusain - 2018
110 x 75 cm
Elle Elles
à l’amie Marie-France Chevalier
Elle est Elles. Il faut écrire les mots pour comprendre.
Elle et Elles s’enveloppent dans la fureur carbonisée des ombres.
Elle et Elles s’accrochent à cette rage confuse qui fait tenir les jours.
Elle et Elles retiennent leurs larmes vaines et invisibles.
Elle et Elles s’épuisent à la tâche dans le silence assourdissant des eaux coléreuses.
Elle et Elles gardent au plus profond les sombres secrets de famille.
Elle et Elles engrangent les chagrins de toutes les lignées de ces femmes taiseuses.
Elle et Elles s’abandonnent parfois à la langueur diffuse d’un instant trop bref.
Elle et Elles ont les mains calleuses, râpeuses et fortes et le labeur a usé la lumière bleue de leurs yeux.
Elle et Elles savent pourtant trouver l’onguent de douceur pour la caresse offerte aux petits.
Elle et Elles accordent leurs voix pour donner au ciel un chant limpide dans l’éclat pourpre d’un soir d’été.
Voix rauques ou flûtées, elles ouvrent le temps, elles ouvrent l’espoir pour les enfants à venir
Elle et Elles engendrent la vie sans pousser un cri. Celui du nouveau né sera d’une farouche âpreté.
Elle et Elles s’appuient lourdement aux arbres des forêts alentours pour gagner leur confiance et accepter le don de la force sauvage.
Voilà ce que nous dit, et plus encore, les dessins de l’artiste.
L’acte artistique permet ces retrouvailles avec l’histoire, la petite et la grande.
Elle reconnaît toutes ces femmes dans l’intimité de son corps.
Elles sont en elles.
L’artiste rend à leurs corps la vigueur, la plénitude, la légèreté, la sensualité.
Mais sans oublier la mémoire de pierre inscrite dans leur ventre.
La main de l’artiste cherche, fouille, trace, frotte, efface.
Fait du repentir une arme.
Pour trouver l’indicible.
Sans faiblir, sa main guide l’esprit qui attend la révélation du geste.
Le geste inscrit l’empreinte des corps dans l’épaisseur ou la finesse du papier. Griffer, caresser, écorcher, lisser.
La chair et le bois s’entremêlent.
Et c’est ainsi que dans l’ombre charbonneuse des fusains ou dans la lumière évanescente des pastels,
Elle et Elles respirent enfin à pleins poumons.
Tout ressentiment pour ces vies abîmées s’épuise et se perd dans la jouissance du dessin naissant.
L’alchimie opère quand les corps affleurent puis se pose sur le papier avec une évidence lente et profonde...indiscutable.
Un temps pour l’apaisement.
Suspension.
Les bras s’écartent.
Plus rien ne bouge.
Il faut arrêter le geste pour ne pas sombrer dans l’oubli.
Laisser la feuille en l’état.
En prendre une autre et tenter à nouveau le miracle de la rencontre.
La puissance de la grâce peut enfin advenir.
Christine Célarier, 2022